L’alimentation, un chemin de croix pour Victoria

Myriam Dutilleul, mère d’Élisa, Marion et de Victoria,  a consacré 3 années à soutenir bénévolement des mères qui allaitent par le biais de l’association La Leche League.   Elle évoque pour nous l’arrivée de sa fille Victoria, très grande prématurée et son combat pour la nourrir avec son lait.

Dans la chambre du service de Médecine Néonatale, l’infirmière vérifie avec moi les protocoles des cocktails médicamenteux pour le retour à la maison. Notre pharmacien a pu s’entretenir avec l’infirmière qui lui a confirmé que je connaissais le mode d’administration de la caféine. Sans le scope, nous ne pouvons pas vérifier son rythme cardiaque, il faut être sûre que la caféine soit bien prise pour éviter les bradycardies, les ralentissements impressionnants de l’activité cardiaque. Tout est prêt, notre chère Nénette de 4 mois et une semaine, les médicaments, les petites couches, les vêtements, les toutes petites semelles orthopédiques et le minuscule bracelet de naissance que j’ai pu conserver de son séjour en réanimation.

Samedi 25 mai 2013 à 16h : nous sortons de la maternité, Victoria et moi. Depuis le 18 janvier, nous étions séparés de Denis et de nos deux autres filles à cent kilomètres de distance. C’est une grande joie de fêter la bienvenue à Victoria dans notre maison et d’être enfin tous réunis. En même temps, je fais taire la tentation des angoisses de l’absence de scope, de l’absence des professionnels de santé que sont les infirmières et pédiatres constamment présents dans la maternité. Je me convaincs de faire confiance en la providence et en mes compétences de mère. Victoria m’apprendra encore et toujours, elle est ma troisième fille et pourtant je redémarre à zéro avec ma casquette de Maman. A chaque enfant c’est pareil, j’ai à chaque fois l’impression de ne plus rien me rappeler des enfants plus grands pour mieux me réajuster aux besoins et aux attentes du bébé présent.

Cela fait une dizaine de jours que notre miss Minichou est rentrée chez nous. Nous profitons de notre vie à 5. Chacun et chacune doit retrouver sa place. Les journées sont bien occupées, je vis en pyjama, avec un bébé dans les bras quasiment tout le temps. Une amie m’a offert un super cadeau, un cours de portage à domicile et une écharpe de 40 cm de large, (utilisée habituellement pour les démonstrations avec poupon) impeccable pour le gabarit de Viky. Denis court partout, gère la logistique et l’organisation familiale depuis 9 mois et la nuit me relaie pour les sacro-saints rots, il est un formidable Papa.

En soirée, il y a toujours un moment où cet enfant ne veut plus rien d’autre que vadrouiller portée dans la maison. Il faut croire qu’elle s’approprie son nouvel environnement, elle a les yeux tellement grands ouverts, qu’on voie le blanc de ses yeux sous ses paupières. Elle ne rate pas une miette de ce qu’elle voit. Je savoure ces rares instants de plénitude, parce que les coliques la font beaucoup souffrir, très probablement en raison de l’absorption du fer trois fois par jour. Notre voisine compatit, ses pleurs sont vigoureux. On masse, on masse ce petit bidon dont on a appris que la musculature abdominale est immature aussi. Mademoiselle Victoria nous a clairement montré qu’elle ne supporte plus la tétine. Elle repousse avec sa langue tout ce qui est objet dans la bouche ou alors elle nous montre ce qu’elle sait faire de son réflexe nauséeux. On a très bien compris.

Elle n’accepte plus dans la bouche que le sein, l’assimilation de la caféine dès le matin est très compliquée. L’enjeu est important et mon appréhension se fait sentir, c’est un soulagement dans toute la maison quand le médicament est bien pris. J’ai stoppé tous les autres médicaments, pour ne garder que celui-là. Les tétées à volonté et la faible prise de poids montrent un réflexe de succion qui n’est pas optimal. Encore une immaturité semble-t-il. Le seul moyen est de me mettre en hyperlactation, de tirer mon lait en même temps et en plus des tétées pour faciliter le réflexe d’éjection du lait. C’est un sport de tenir d’une main cet enfant qui se trémousse et d’actionner le tire-lait tout en gardant fixée la téterelle de l’autre côté. « Se détendre et tout ira bien » est mon credo. Je détecte le moment de l’ouverture de la petite bouche et je la mets au même sein qu’à la tétée précédente pour qu’elle profite du lait de « fin de tétée » (dans une tétée, il n’y pas de début ou de fin, le lait gras arrive en fin de vidange alvéolaire, c’est-à-dire quand le sein a été « vidangé » plusieurs fois de suite de façon très rapprochée) , le plus riche en graisses. C’est toujours le lait de « fin de tétée », le plus crémeux, qui sert à fabriquer le reblochon chez les spécimens bovins de Savoie !

Je passe la plupart de mon temps au lit avec ma fille sur moi ou à mes côtés, il me tarde de profiter du printemps et de l’été avec Viky. Nous nous autorisons de manière journalière un bain de soleil sur la terrasse lorsque la température est chaude. J’apprécie sur le transat les longs appels téléphoniques avec les copines ou les membres de ma famille dont j’apprécie leur soutien.

En soirée, avec la fatigue, l’agitation des filles, mon manque de patience, le lait arrive moins vite. J’ai bien tenté le DAL, le Dispositif d’Aide à la Lactation pour amener le lait par une sonde dans la bouche quand elle tète, mais même la plus petite sonde lui est insupportable. En outre, sa force d’aspiration est très faible, elle peine à en boire le contenu. Alors, je choisis la patience, je prends ce temps qui semble très long pour le transfert de chaque goutte de lait et ce temps si court, très court que je m’octroie uniquement pour moi. Le peau-à-peau nous aide à réparer cette longue période de séparation, ces longs mois de couveuse où le toucher était rare, je sens que ce contact prolongé est nécessaire pour faciliter la connaissance de l’une et de l’autre.

J’appelle des consultantes en lactation, elles cherchent, lisent et proposent différentes astuces qui pourraient convenir à notre Mistinguette.

Le 5 juin, je suis allée consulter LA pédiatre référente en allaitement dans notre région. Elle nous connait bien et a toujours les mots qui nous rassurent, parce que je suis toujours inquiète quant à la prise de poids de Victoria, j’ai peur qu’elle n’ait pas suffisamment de lait. La rencontre avec un pédiatre de la maternité m’avait déstabilisée, il assurait de manière déterminée qu’un rythme de tétée était nécessaire. Victoria pèse 3,5 Kg, le poids d’un enfant à terme, avec ses soucis de succion-déglutition, je crains que les doses de lait ingérées soient nettement inférieures à ses besoins. En lui proposant plus souvent, elle est moins fatiguée, et boit à la demande. J’utilise la méthode de la compression mammaire quand je sens la miss déglutir moins fréquemment, l’écoulement du lait continue par lui-même, et Victoria peut avaler encore quelques gorgées, c’est toujours ça de pris.

J’ai entendu un jour un prédicateur : « dans toute situation difficile, il y a toujours une lueur d’espoir quelque part, un médicament qui apaise, une parole encourageante, ou une bienveillance. » Mon étincelle, c’est la visite ce matin de la kiné, souvent présente au moment du fond d’œil, l’examen que les bébés ne supportent pas. Victoria en rentrant, a les yeux explosés, rougis par l’examen précédent, mais suit et attrape les objets présentés par la kiné. La motricité se met en place, c’est super, on ne se verra peut-être pas le mois prochain parce qu’il n’y en aura probablement pas besoin. Je m’accroche à chaque bonne nouvelle et je la garde précieusement au fond de moi pour les moments délicats.

Je pèse Victoria à ses 5 mois ½, incroyable, 300g en 10 jours. Poids actuel : 3,9 Kg, elle a bien grossi ! Elle a pris 30g par jour, le minimum étant de 17g par jour, je suis complètement rassurée, j’ai la quantité de lait dont elle a besoin pour sa croissance. Je me sépare de la balance louée depuis sa naissance. Mon moral est au beau fixe.

Le 6 juillet, à mon réveil, je n’ai qu’une idée en tête, partir vers cette grande fête de famille à quelques heures de route. Le temps est radieux, les rayons du soleil me chauffent et me réchauffent ! A notre arrivée, nous sommes accueillis comme des rois, les invités nous ont attendus pour la grande photo familiale ! Je converse avec un cousin parti à Hong-Kong que je n’ai pas vu depuis 10 ans. Il est l’heureux Papa de grands garçons de 9 ans, nés prématurément, maintenant plein de santé et dynamiques. Quelle joie !

 

« Si chacun s’enferme chez soi parce qu’il craint la pluie, alors les saisons passent de façon monotone, chacun reste à l’abri des plus beaux états d’âmes de la nature qui, dans l’âme humaine, s’appellent les passions. »

Jade et les sacrés mystères de la vie, François Garagnon.

Crédit photo : Myriam Dutilleul

 

 

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