Le lait humain protègerait contre l’obésité (1e partie)

La prévalence de l’obésité chez l’enfant n’a de cesse d’augmenter. Ce phénomène est inquiétant dans la mesure où il implique souvent de nombreux risques pour la santé de l’enfant, l’adolescent et l’adulte (problèmes cardiovasculaires et respiratoires, maladies gastro-intestinales).
Des études se sont intéressées à l’impact de la qualité de l’alimentation dans les premiers mois sur les risques à plus longs termes. Mais établir des liens entre le mode de nourrissage en début de vie et la santé à l’âge adulte n’est pas sans poser quelques soucis : d’une part la collecte de données est difficile et d’autre part l’interprétation des résultats est sujette à caution.

En ce qui concerne l’effet de l’allaitement, la comparaison de l’état de santé d’adultes ayant été allaités ou non est délicate dans la mesure où :
– la qualité des préparations pour nourrissons a profondément évolué depuis les premiers laits mis sur la marché,
– la définition des durées d’allaitement et de l’allaitement exclusif n’est pas toujours la même entre les études ce qui rend la comparaison difficile,
– des biais existent : le mode de vie des mères allaitantes diffère parfois de celui des mères non allaitantes,
– la façon dont le sevrage est mené est très variable selon les familles (notamment l’âge et le type d’ aliments introduits) : or ces aspects sont très marquants pour la santé future,
– le mode de vie à l’âge adulte peut gommer les effets de l’allaitement sur le long terme.

Malgré tout, depuis une vingtaine d’années, de nombreux résultats d’études s’accumulent quant à l’influence de l’alimentation du tout-petit dans ses premiers mois de vie et il semble que le lait humain consommé au tout début de la vie soit impliqué dans le contrôle du poids des enfants et des adultes qu’ils deviendront [1]. Soulignons néanmoins qu’il n’y a pas encore de consensus bien établi au sein de la communauté scientifique. Voyons ce qu’il en ressort.

Les résultats d’études

Une méta-analyse réalisée en 2005 [2] rassemble les résultats de 17 études indépendantes. Les auteurs ont estimé un risque diminué de 4% par mois d’allaitement supplémentaire. Mais ces chiffres semblent surtout s’appliquer aux pays riches : ce qui est déjà un résultat intéressant en soi.

En effet, dans les pays plus pauvres, les études ne mettent pas en évidence de lien entre indice de masse corporelle et durée totale de l’allaitement.

Mais l’IMC est-il un paramètre bien pertinent ?

En effet, plusieurs études préalables l’ont montré : l’IMC a lui seul ne permet pas d’étudier l’impact de l’allaitement car ce paramètre est trop peu précis pour mettre en évidence des différences de composition adipeuse entre individus, notamment pendant l’enfance. Il faut donc trouver d’autres approches. Certaines recherches ont donc suivi une autre voie, en ciblant par exemple l’information « masse adipeuse ». Des moyens de mesure adaptés relatifs à cette nouvelle donnée, mettent effectivement en évidence l’impact positif de l’allaitement même après ajustement des facteurs confondants. De plus, un effet dose-réponse a été noté. L’étude [3] réalisée sur plus de 500 enfants montre par exemple un tel effet de l’allaitement : une moindre masse grasse pour les enfants allaités alors que l’IMC n’est pas modifiée.

Pour s’affranchir des biais, il est intéressant de regarder du côté des études menées sur les frères et sœurs qui n’ont pas reçu la même alimentation dans leurs premiers mois de vie ou une même durée d’allaitement. Ces recherches sont très riches en enseignement car elles permettent de mettre de côté l’influence du mode de vie et des facteurs socio-culturels.
Ainsi, l’étude [4] de 2010 repose sur l’utilisation d’un modèle permettant d’éliminer les caractéristiques communes de 500 fratries (un allaité/un non allaité) dont l’âge était compris entre 9 et 19 ans. L’analyse des résultats conduit au chiffre suivant : 41 % plus de risques  chez l’enfant non allaité d’être en surpoids à l’âge adulte.

L’OMS [5] a récemment (2013) mis à jour une vaste méta-analyse portant sur ce sujet et incluant un large panel d’études diverses (71 études incluses). Leur conclusion est qu’il est effectivement observé une association entre allaitement et une moindre prévalence du surpoids et de l’obésité sur le long terme mais qu’il reste tout de même difficile d’éliminer tous les facteurs confondants.

L’importance des conditions de sevrage

Un article publié en 2014  [6]  par une équipe française  rappelle, comme dans la conclusion de l’OMS, qu’une tendance se dessine mais qu’il n’y a pas encore de consensus : de nombreux biais dispersent les résultats et un ajustement statistique correct est nécessaire de façon à pouvoir isoler l’influence du seul paramètre « allaitement ».

L’article rend compte d’une étude de cohorte (comparaison des taux d’incidence du surpoids entre personnes ayant été allaitées et un groupe de non allaités). 73 enfants ont été suivis de leurs premiers mois jusqu’à l’âge de 20 ans et l’effet de l’allaitement (partiel ou exclusif confondus) sur la masse adipeuse a été étudié en tenant compte des facteurs nutritionnels au moment du sevrage. 2/3 des enfants ont été allaités, avec une durée maximale de 7 mois 1/2. Les paramètres évalués à l’âge de 20 ans sont la taille, le poids, l’épaisseur des plis cutanés, la masse adipeuse. Les paramètres confondants qui ont été ajustés sont l’indice de masse corporelle de la mère, la profession du père.

Lorsque les variables habituelles sont ajustées, il n’est pas toujours évident de mettre en évidence le rôle protecteur de l’allaitement. Par contre, en prenant en compte la variable « régime alimentaire » lors du sevrage (contenu en calories et en lipides), ce rôle protecteur apparaît de façon significative mais il faut tenir compte également de l’apport calorique ou contenu en matière grasse lors du sevrage : une restriction calorique au moment du sevrage pourrait avoir un effet néfaste sur la gestion des graisses à un âge plus avancé, et gommer les bénéfices de l’allaitement sur cet aspect.

L’idéal est de passer du lait maternel (riche en graisse) et de diminuer progressivement la quantité de lipides au fil du temps, tout en douceur. Une chute trop rapide n’est pas sans risques sur le long terme, notamment sur la gestion des corps gras. Comme si le corps s’adaptait à cette restriction et programmait de faire des réserves en cas de besoin !

Enfin, les études ont également mis en évidence l’importance de l’âge au moment de l’introduction de solides : parmi les enfants nourris avec des préparations industrielles pour nourrissons, le fait d’introduire la diversification avant l’âge de 4 mois est associé à une augmentation marquée du risque d’obésité à 3 ans. Cette période de diversification n’apparaît pas aussi impactante pour les enfants allaités, comme si l’allaitement aidait à mieux réguler leur prise alimentaire [7].

En conclusion

En tout état de cause, s’il est parfois difficile de tirer une conclusion quant au seul rôle de l’allaitement sur la masse adipeuse, il y a tout lieu de croire qu’il occupe une place importante dans la mise en place de mécanismes de contrôle. Ce qui est sûr c’est que  la composition de la masse corporelle est fortement marquée par le vécu « environnemental » juste après la naissance (période de « plasticité métabolique »)  et pendant la petite enfance : les risques de développement de l’obésité sont bel et bien liés à plusieurs facteurs de risques.

A lire prochainement, un 2e partie article consacré aux modes d’action de l’allaitement maternel sur la mise en place de facteurs régulateurs qui émergent de la recherche scientifique et qui peuvent expliquer les tendances observées.

Références :

  • Bouret,  « Early life origins of obesity: role of hypothalamic programming »
    Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, Vol 48 Suppl 1:S31-8, 2009
  • Harder T. et al., « Duration of breastfeeding and risk of overweight: a meta-analysis », Am J Epidemiol. , Vol 162(5), pp 397-403, 2005
  • Robinson SM., et al., « Variations in infant feeding practice are associated with body composition in childhood : a prospective cohort study », Journal of Clinical Endocrinology Metabolism, Vol 94(8), pp 2799-2805, 2009
  • Metzger M., McDade T., « Breastfeeding as Obesity Prevention in the United States: A Sibling Difference Model », American journal of Human Biology, Vol 22, pp 291-296, 2010
  • Horta B.L., Victora C.G., « Long-term effects of breastfeeding : a systematic review », Chapitre 5, World Health Organization  ISBN 978 92 4 150530 7, 2013
  • Péneau S, Hercberg S., Rolland-Cachera M-F, « Breastfeeding, Early Nutrition, and Adult Body Fat », The Journal of Pediatrics, 2014
  • Huh, S.Y. et al., «  Timing of solid food introduction and risk of obesity in preschool-aged children. »,  Pediatrics, Vol 127, e544–e551 2011

[Auteure] : Pascale Baugé

 

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