Allaitement et prévention de l’obésité : les mécanismes mis en jeu (Fin)

Comme nous l’avions vu précédemment, une association entre l’allaitement maternel et une moindre prévalence du surpoids et de l’obésité à moyen et long terme est observée : l’OMS précise néanmoins qu’il existe de nombreux facteurs confondants dans les études d’observation qui rendent difficile la conclusion quant au rôle exclusif de l’allaitement sur cet aspect.

Pour tenter d’y voir encore plus clair, il peut être intéressant de comprendre quels mécanismes sous-jacents permettraient d’expliquer l’effet protecteur de l’allaitement.

Plusieurs facteurs peuvent en effet rendre compte du rôle joué par l’allaitement dans la mise en place d’un métabolisme ou d’un contrôle plus efficace.

Des composants spécifiques

Le lait des mammifères contient de nombreux composants dédiés à une croissance optimale des petits (optimum propre à chaque espèce qui doit s’adapter à son environnement). Dans le cas du petit homme, le développement des premiers mois affecte surtout le volume cérébral (la croissance du reste des tissus corporels est beaucoup moins marquée) car c’est surtout un déploiement optimal du câblage neuronal et un gain rapide en capacités cognitives qui caractérisent notre espèce. Pour cela, le lait humain se distingue par une teneur élevée en lactose (carburant du système nerveux central) et en corps gras et cholestérol (pour élaborer des tissus cérébraux).

Les préparations lactées, issues principalement du lait de vache, sont plus riches en protéines ce qui active davantage la croissance corporelle (muscles et squelette) : une des raisons pour lesquelles la courbe de gain de poids d’enfants non allaités est plus rapide. Or, un lien a été établi entre une lente prise de poids et un risque diminué d’obésité sur le long terme. Nous reviendrons sur les protéines « particulières » du lait maternel un peu plus tard.

Une autre différence entre lait maternel et préparations lactées pour nourrissons concerne le ratio oméga 6/oméga 3. Moins riche en oméga 3, la préparation pour nourrisson est souvent trop « déséquilibrée » entre les deux types d’acides gras ce qui a pour effet de stimuler la croissance des adipocytes (cellules spécialisées dans le stockage des graisses). De plus, ce déséquilibre conduit aussi à un phénomène d’inflammation dont on sait qu’il est impliqué dans le développement de l’obésité [1].

Revenons sur les protéines spécifiques du lait maternel. Plusieurs séries de données dont certaines récentes indiquent également que certaines protéines présentes en qualité et quantité optimales dans le lait humain jouent un rôle primordial dans la « programmation métabolique » de l’individu via l’hypothalamus.

L’hypothalamus est en effet cette zone du cerveau où s’interconnectent de façon complexe différents types de neurones très spécialisés. Sous l’effet de plusieurs hormones impliquées dans des boucles de de contrôle, l’hypothalamus active les neurones de prise de nourriture ou au contraire des neurones générant la satiété.

Les études dont par exemple ([2], [3], [6], [7]) n’ont pas encore fait le tour complet de la question mais les protéines impliquées sont par exemple la leptine, l’adiponectine, l’apeline et la ghréline.

 

Quelle(s) fonction(s) ces molécules ont-elles ?

La leptine et l’adiponectine sont toutes les deux des hormones produites par le tissu adipeux.

La leptine (du grec « Leptos » qui veut dire mince) est une protéine qui régule les réserves de graisses (elle induit la transformation des lipides et la synthèse des acides gras nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme). Mais elle joue aussi sur l’appétit en contrôlant la satiété; elle est aussi impliquée dans la dépense énergétique. Son rôle précis se situe au niveau de récepteurs de l’hypothalamus.

Différentes études ont montré que la leptine était présente dans le lait humain, en concentration variable pendant toute la période d’allaitement. Les laits industriels ne contiennent pas de leptine même si cette protéine est présente dans le lait de vache (l’écrémage du lait évacue en même temps la leptine).

L’adiponectine [4] [5], est une grosse protéine (composée de 244 acides aminés). Les études ont montré qu’un taux élevé de cette protéine diminuait le risque de diabète de type II en augmentant la sensibilité à l’insuline. Dans le lait humain, les niveaux restent marqués pendant toute la durée de l’allaitement. Dans les études de cohorte [5], des taux plus élevés d’adiponectine sont associés à un plus petit poids chez l’enfant.

L’apeline, est une protéine découverte récemment (1998) et encore plus récemment dans le lait humain (2010). Elle endosse de multiples fonctions : régulation de la pression artérielle, vaisseaux sanguins, effet sur la force de contraction du cœur… Mais le rôle qu’elle joue pour le métabolisme se situe à deux niveaux :

– au sein du cerveau : elle a par exemple été détectée dans les régions contrôlant l’appétit,
– elle active des récepteurs du système digestif (estomac, pancréas, colon).

La ghréline [6] est une petite protéine formée de 28 acides aminés. A la différence des autres hormones, elle stimule l’appétit  (en agissant sur l’hypothalamus) et active les hormones de croissance. Elle intervient aussi dans la régulation du poids sur le long terme.
Il a été mesuré un niveau de ghréline, beaucoup plus élevé dans les laits industriels que dans le lait humain (d’un facteur 2.5 en moyenne).

Ainsi, des composants spécifiques en quantité optimale sont présents dans le lait maternel. Ils jouent soit sur le rythme de croissance du bébé, la régulation de la satiété et l’appétit, soit encore sur la dépense énergétique.

Y a-t-il autre chose ?

Importance de la tétée

Bien que les mamans allaitantes soient souvent un peu inquiètes de ne pas pouvoir visualiser la quantité de lait absorbée par leur enfant, il semblerait bien que c’est tétant que le bébé a le plus de chances d’apprendre par lui-même à réguler ses propres apports alimentaires : des études se sont penchées sur la question.

Les enfants nourris au sein doivent téter de façon très active pour obtenir le lait alors que les enfants nourris au biberon sont plus « passifs » et fournissent un effort moindre. En plus, ces derniers sont beaucoup plus coachés par leur mère, père ou tout autre soignant qui encouragent « à terminer » le repas. De cette manière, ils n’apprennent pas à reconnaître les signes de satiété et ne parviennent pas à s’arrêter de manger au bon moment.

Enfin, n’oublions pas que le lait maternel change de composition et de goût tout au long de la tétée : le bébé apprend vite à reconnaître la « fin de tétée » et ainsi, à mieux équilibrer ce qu’il absorbe par rapport à ses besoins (faisons confiance à l’être humain). Il s’agit donc de mieux contrôler son apport énergétique, un acquis normalement gardé tout au long de la vie. C’est ni plus ni moins qu’un apprentissage comportemental. L’étude [8] l’a particulièrement bien montré en contrôlant différents paramètres.

Composants biologiques spécifiques et tétée « à la source » jouent tous les deux un rôle dans la régulation de l’apport calorique chez l’enfant allaité. Même si le consensus n’est pas établi, tous les éléments semblent cependant réunis pour qu’un jour l’argument de l’allaitement protecteur de l’obésité soit réellement validé.

NB : Attention, cela ne remet pas en cause la pratique occasionnelle consistant à offrir un biberon de lait maternel.

Références : 

1. Bartok CJ, Ventura AK. « Mechanisms underlying the association between breastfeeding and obesity », International journal of pediatric obesity, Vol 4, 196-204, 2009

2. Bouret SG.,  « Early life origins of obesity: role of hypothalamic programming » , Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, Vol 48 Suppl 1:S31-8, 2009

3. Palou, Pico, « Leptin intake during lactation prevents obesity and affects food intake and food preferences in later life », Appetite, Vol 52(1) : 249-52,  2009

4. Bronsky, Mitrova et. al.,  « Adiponectin, AFABP, and Leptin in Human Breast Milk During 12 Months of Lactation », Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition, Vol 52(4) : 474–477, 2011

5. Woo JG, Guerrero ML, Altaye M, et al. « Human milk adiponectin is associated with infant growth in two independent cohorts ». Breastfeed Med Vol 4 : 101–109, 2009.

6. Savino, Petrucci et al., « Assay of ghrelin concentration in infant formulas and breast milk », World J Gastroenterology, Vol 17(15): 1971–1975,  2011

7. Victora C. G., Bahl R. et al., « Breastfeeding in the 21st century : epidemiology, mechanisms, and lifelong effect », The Lancet, Vol 387, 20168

8. Li R, et al., « Do infants fed from bottles lack self-regulation of milk intake compared with directly breastfed infants? »,Pediatrics, Vol 125(6), pp 1386-1393, 2010

[Auteure] : Pascale Baugé

 

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