Allaiter comme une évidence

Dorota, est polonaise. Elle vit en France depuis 1996. Elle a travaillé dans le milieu de cinéma comme décoratrice/ensemblière et elle a choisi de s’occuper à plein temps de son fils Theo qui a 22 mois.

Dorota : la question d’allaiter mon enfant ou pas ne s’est jamais posée. Tout comme les femmes de ma culture, ma mère m’a allaité, ainsi que mon frère. Je viens de Pologne où l’allaitement est ancré dans notre tradition. Ainsi, c’était pour moi naturel, logique, biologique, une évidence : mes seins sont faits pour ça.

Je compris, en discutant avec une amie, que tout le monde ne l’entend pas comme ça. Elle m’avouait avoir arrêté d’allaiter après quelques essais, tant sa fille, qu’elle surnommait son piranha, lui faisait mal en tétant. Je m’imaginais alors que ce cas de figure devait être exceptionnel. Avec le temps, j’ai croisé de nombreuses femmes qui n’avaient pas allaité pour d’autres raisons : « parce que ça déforme les seins », « parce c’est ennuyeux », parce qu’elles ne voulaient pas devenir « une vache laitière 

Curieusement, les informations négatives que j’ai accumulé avec le temps ne m’ont jamais fait douter. Quand Theo est né, l’infirmière me l’a mis au sein. Et, en le voyant s’accrocher si confiant, j’ai su que je n’avais pas à avoir peur. Nous allions naturellement nous découvrir, et apprendre au fur et à mesure. J’en ai les larmes aux yeux quand je repense à cette fusion, ce moment magique et unique au monde, cet instant que j’aimerais tant revivre une fois encore.

Les points de suture de ma césarienne me gênaient et m’empêchaient de me lever pour prendre mon bébé quand il avait besoin de moi. L’infirmière m’a alors montré comment allaiter allongée. Durant les trois premiers jours du séjour à la maternité, je n’ai pas pu fermer l’œil. Et quand est arrivée la montée de lait, mon bébé réclamant à corps et à cri, des crevasses sont apparues qui saignaient. J’étais extenuée par le manque de sommeil, fragile, vulnérable. C’est alors que la sage-femme m’a pressée de mettre des bouts de seins en silicone afin de soulager et soigner mes tétons. Je ne voulais pas les mettre ; je trouvais que ça créait une barrière entre mon fils et moi. Mais elle a tellement insisté que j’ai finalement cédé. Cela ne semblait pas déranger Theo qui s’accrochait au sein aussi facilement qu’avant. Rassurée, j’ai continué à les utiliser.

Et c’est là que la sage-femme a, selon moi, commis une erreur impardonnable. Je lui en veux encore énormément. Je croyais qu’elle était expérimentée et je suivais son conseil sans écouter mon instinct. Elle ne m’a pas expliqué comment ni combien de temps les utiliser. Mon bébé s’est alors habitué au silicone au point de refuser de prendre le sein sans cet accessoire. J’ignorais les conséquences plus sérieuses que cela pouvait entraîner. Au cours de ses premiers mois de vie, Theo a ainsi été un bébé en demande quasi constante du sein. Il était constamment collé à moi. Ma mère, qui était venue m’aider pendant les premières semaines après l’accouchement, ne comprenait pas. Dans son souvenir, un nourrisson peut dormir 2 ou 3 heures entre chaque tétée alors que Theo ne dormait que quelques minutes avant de se réveiller en pleurant et de réclamer le sein à nouveau. Finalement j’ai abandonné l’idée de le poser pour la sieste. Je le portais constamment en écharpe de portage, je dormais avec lui la nuit ; si on peut appeler ça « dormir » !

Vers 5 mois, les tétées sont devenues difficiles. Il devenait rouge et se tortillait dans tous les sens. Il pleurait beaucoup, longtemps et très fort. Je pensais qu’il a commençait à avoir les fameuses coliques. Je me souviens d’une fois où il a pleuré 5 heures non stop avec 2 petites pauses d’épuisement. C’était très dur pour moi de le voir comme ça tant psychologiquement que physiquement. J’essayais tout ce que je pouvais pour l’apaiser. En désespoir de cause, j’appelais mon mari, l’implorant de rentrer plus tôt du travail. Je commençais à craquer. Nous avons bercé notre bébé encore davantage notre bébé et les « coliques » se sont un peu apaisées au bout d’un temps.

A l’âge de 6 mois j’ai pris rendez-vous avec une consultante en lactation IBCLC pour faire un point sur ce que j’avais mis en place et demander conseil pour que mon allaitement dure le plus longtemps possible. Et là, je suis tombée des nues. Après avoir examiné Theo, elle m’a annoncé qu’il ne prenait pas assez de poids, qu’il ne suivait pas bien sa courbe de croissance et que le problème venait vraisemblablement des bouts de seins en silicone. Ils ne permettaient pas une bonne stimulation de la lactation et ma production avait été considérablement affectée.

Tout est devenu clair pour moi. Theo avait simplement tout le temps faim. Il ne buvait pas assez de lait, c’est pour ça qu’il était constamment en demande. Etait-ce également possible qu’il n’ait jamais eu de coliques, mais que tous ses pleurs venaient de la faim ? J’ai très mal pris cette nouvelle, je me suis sentie coupable et j’étais très inquiète pour sa santé.

Elle m’a suggéré un programme pour stimuler ma lactation. C’était très intense, il fallait faire plusieurs cycles de pompage dans la journée avec un tire-lait. En tout, ça me prenait 3h, ce qui est très difficile lorsqu’il faut s’occuper d’un enfant simultanément. Theo a commencé en même temps la diversification alimentaire. Je l’ai revu au mois de Juin et j’ai passé tout l’été à « pomper ». J’ai décidé d‘annuler deux voyages pour m’y tenir. Finalement au bout de 2 mois, Theo as commencé à bien prendre du poids et de mon côté, je produisais plus du lait.

Cet épisode m’a longtemps traumatisé. Même si la consultante en lactation me disait que je pouvais cesser le pompage, je n’arrivais pas à arrêter. J’ai continué à le faire plusieurs mois. Ça me rassurait de voir la quantité de lait dans la bouteille tous les jours et puisque je continuais à utiliser les bouts de seins en silicone, j’avais peur de revenir en arrière.

L’étape suivante était d’abandonner enfin les bouts de seins. J’ai essayé plein de fois, mais Theo refusait de s’accrocher au sein « nu ». Cela me rendait triste. J’avais l’impression de ne pas vivre pleinement mon allaitement. Et accessoirement, l’organisation avec les bouts de seins me pesait beaucoup, il fallait constamment les avoir à portée de main, toujours propres, les chercher partout dans le lit la nuit, les mettre en place rapidement etc. J’appréhendais le moment où Theo serait assez grand pour se déplacer seul vers moi, soulever ma chemise et ne pas pouvoir » se servir » par lui-même. C’était pour moi une cause perdue. Encore une fois, elle m’a aidé. Elle était confiante. Elle m’a conseillé d’arrêter de me mettre la pression, que ça viendrait un jour mais dans la détente, en jouant peut-être. Et effectivement, c’est comme ça que ça s’est passé, naturellement. Un jour, alors que Theo était en train de téter, le bout de sein en silicone est tombé. Mon fils avait les yeux fermés et il ne l’a pas vu, il a tiré comme avant. Surpris, il a ouvert les yeux et a repris de plus belle. Il avait alors 13 mois. Il était suffisamment grand pour pouvoir mettre lui-même le bout de sein sur le téton et du coup il a testé les 2 versions, avec et sans. Rapidement, il a préféré la version « sans ». Les premières tétées ont cependant été un peu douloureuses. J’ai bien senti combien le silicone freinait le drainage. Autant c’était très délicat avant, désormais la succion était extrêmement forte. Quelle différence ! Finalement je me suis rapidement habituée, et, au bout de quelques semaines, les douleurs ont disparu.

Pour conclure, je crois profondément que la possibilité d’allaiter est un privilège extraordinaire, une expérience fusionnelle avec son enfant, une expérience de vie que personne ne peut comprendre à votre place. Chaque mère la vivra à sa manière, et nous ne devrions jamais laisser qui que ce soit nous dicter comment nous comporter avec nos enfants. Tout vient naturellement avec amour, confiance et patience. Malgré tous ces moments compliqués, je me sens extrêmement heureuse et épanouie de vivre pleinement mon rôle de mère et d’avoir tissé cette réelle connexion avec mon fils, qui sans l’allaitement, aurait pu être différente.

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