Allaitement physiologique, soyons logique

Quand j’entends une femme me dire : « Oh oui, j’ai allaité longtemps : presque trois mois! », je la félicite car elle y a mis du sien, c’est évident! Pour une Française c’est pas mal… mais par rapport à la physiologie humaine, c’est quand même plutôt court.

Laissons-nous rêver quelques minutes si vous le voulez bien. Imaginons donc un peu ce que serait un allaitement le plus originel possible : la physiologie humaine au milieu de la nature. J’entends des voix qui s’élèvent : nous ne sommes plus des habitants de la nature. Oui c’est vrai, mais remontons le temps, extrapolons et regardons ce que notre organisme d’homo sapiens, apparu il y a deux cent mille ans, a pu vivre comme allaitement respectueux du besoin physiologique de son espèce.

Allons chez nos cousins

De nombreuses théories existent au sujet de la durée de l’allaitement tel qu’il devrait avoir lieu « dans la nature », témoignant de la grande difficulté d’établir des chiffres exacts. N’importe quel ouvrage sur le mode de vie des mammifères nous donne le nombre de semaines ou de mois au bout duquel le petit de chaque espèce se sèvre spontanément dans son milieu naturel d’origine, mais cette donnée n’est pas disponible pour le mammifère un peu spécial (car se voulant avant tout socialement conforme) qu’est l’homme. Autant le dire tout de suite, nous n’aurons que des faisceaux d’indices pour décrire cet allaitement des origines. Nous pourrons utiliser des chiffres mais sans certitude. Nous allons donc tenter quelques extrapolations. Une chose est certaine, nos plus proches parents, génétiquement parlant, sont les grands primates comme le Chimpanzé et le Gorille, avec qui nous partageons 98% de notre patrimoine génétique. On peut logiquement tenter de se baser sur leur façon de mener leur allaitement pour extrapoler ce que serait l’allaitement d’une femme de l’espèce humaine, dans la nature, sans la pression sociale moderne. Trois auteurs ont étudié l’allaitement chez les grands primates, et le traitement de leurs résultats pour la ramener à l’espèce humaine donne des informations relativement cohérentes entre elles.

Si on regarde du côté des dents

La première étude (°) montre que les grands primates cessent l’allaitement mixte de leur petit lors de l’apparition des premières molaires définitives. L’extrapolation à l’humain donnerait alors un âge de fin d’allaitement au même stade de développement, soit aux alentours de cinq ou six ans.

Ou du côté du poids

La deuxième étude (°°) qui peut nous éclairer s’intéresse à une autre caractéristique directement liée à la capacité de survie du jeune : les réserves de graisse. On peut observer que le sevrage chez les primates n’est opéré que lorsque les petits ont atteint environ un tiers de leur poids d’adulte et en aucun cas avant. L’extrapolation à l’humain conduirait à situer la fin de l’allaitement entre quatre et sept ans.

Et de la gestation

Enfin le troisième auteur (°°°), remarque que la durée d’allaitement chez les grands primates n’est jamais inférieure à six fois la durée de la gestation pour la même espèce. L’extrapolation à l’humain donne une durée d’allaitement d’au moins cinquante quatre mois, soit plus de quatre ans et demi.

            Ces études nous permettent de penser avec un niveau de confiance acceptable que l’espèce humaine est physiologiquement programmée pour allaiter et être allaitée au moins plusieurs années. Un essai de durée de fin d’allaitement pourrait être proche de cinq ans, avec une diversification qui débuterait a priori lorsque l’enfant en montre le besoin.

On a l’impression d’être des cancres…

La différence est de taille entre l’allaitement classique de la France en 2014 et l’allaitement que l’on peut appeler physiologique. Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer ce gouffre entre le besoin humain et la réalisation? La pression sociale venant de la société consommation dans laquelle nous vivons sans même nous en rendre compte joue vraisemblablement un rôle majeur. Et même si la mère allaitante du bébé de plus d’un an arrive à passer outre la pression de son entourage, la pression gustative que subit le bambin risque bien d’être déterminante. En goûtant ce que les autres enfants consomment comme nourritures toutes plus addictives les unes que les autres : sodas, barres chocolatées, chips, etc, il finira par trouver le lait maternel fade et insipide, souvent à la grande consternation de sa mère.

Bref, allaiter quatre ans relève dans notre société de l’exploit, mais pour autant, restons informé(e)s et ne perdons pas de vue que c’est grâce à cet allaitement de plusieurs années que l’humanité s’est construite dans un contexte où la vie devait être moins confortable que celle d’aujourd’hui. Et tournons notre regard vers celles qui s’écoutent et écoutent les besoins physiologiques de leurs bébés : ce sont les meilleures de la classe !

(°) Smith, B. H. Age of weaning approximates age of emergence of the first permanent molar in nonhuman primates, abstracted. Phys Anthropol Suppl 1991; 12:163-64

(°°) Charnov, E. L. and D. Berrigan. Why do female primates have such long lifespans and so few babies? or Life in the slow lane. Evol Anthropol 1993; 1:191-94

(°°°) Dettwiler. A time to wean. http://www.kathydettwyler.org/detwean.html (20/01/2010)

10 réflexions sur « Allaitement physiologique, soyons logique »

  1. Merci pour cet article très clair sur la physiologie humaine et ce qui pourrait se rapprocher d’un allaitement physiologique!
    Et c’est la première fois que je vois quelqu’un qui a le courage d’écrire qu’un allaitement de 3 mois ce n’est, hélas, pas grand chose… Le bébé ayant reçu bien plus lontemps du lait de vache que du lait maternel… Pour moi, c’est un début d’allaitement (c’est vrai qu’en France, on peut quand même saluer les efforts de cette maman) mais ensuite, c’est le lait de vache qui a été choisi. Certaines me trouveront dures mais cette maman n’a pas allaité, elle a juste essayé, puis choisi les substituts…

    1. Oui, physiologiquement trois mois c’est trop court. Comme vous le dites, c’est juste un essai, juste le temps de mettre les choses en place. Il faut encourager ces femmes à affronter la norme sociale bien pensante. Car cela demande un véritable courage. Une grosse organisation aussi… Bravo à toutes celles qui dépassent ces difficultés.

    2. Les mamans qui allaitent 3 mois et arrêtent ensuite , ne le font pas forcément par choix ! je suis dans se cas , j’ai du arrêter d’allaiter à mon grand regret , car il me fallait retravailler ! Je n’avais pas la possibilité de tirer mon lait au travail , ce qui à entrainer une baisse de ma production de lait, j’avais de moins en moins de lait, j’ai donc du passer au biberon poudre

      1. Bonjour Violette
        Vous avez hélas raison, de nombreuses mamans arrêtent d’allaiter à la reprise du travail parce que l’employeur n’est pas soutenant.
        Mais c’est à vous, Mamans, de leur montrer qu’ils peuvent en trouver un bénéfice également, avec une réduction du taux d’absentéisme et une meilleure productivité ( les études le prouvent).

  2. Moi je trouve encore malheureux de penser qu’en France (en Occident en général), on trouve ça fabuleux d’allaiter plusieurs mois, puis plusieurs années… En fait, ça devrait être “normal”. Mais on ne fait rien pour ça, ou trop peu… Le discours est à l’allaitement, mais dans les faits, dans la société, les mères ne sont pas aidées, ou pas assez. Moi j’ai allaité moins d’un an pour chacun de mes 3 enfants, mais j’ai parfois eu l’impression de grimper des montagnes, de surmonter des difficultés, seule, uniquement grâce à ma motivation. C’est dur parfois!!

  3. bonjour,
    je suis une maman qui a allaité sa dernière 4 ans c’est à dire jusqu’au sevrage naturel et malgré le fait que je sois une mère divorcée et qui exerce un métier…de toutes ces années d’allaitements je ne garde que de bons souvenirs, la relation avec son enfant est forte, je dirai même que l’allaitement est l’or blanc du maternage réussi!!!ma fille a été très peu malade, nous étions pressée de nous retrouver le soir pour passer un moment pour la têtée ‘de retrouvaille, malgré les nombreux commentaires négatives que j’ai pu avoir comme je ne la laisse pas grandir, ce n’est pas sain etc….aujourd’hui ma fille est une petite fille qui a 5 ans est très équilibrée, à l’école je n’ai que de compliments, elle a un esprit vif et que dire de plus en quelques lignes pour ma part je suis convaincue du bienfait d’un allaitement long car il est plus que ça pour moi et je suis heureuse que ma fille en ai profité et aujourd’hui je regarde cela avec nostalgie mais plus pour longtemps ….

  4. J’avais la chance de ne pas travailler quand j’ai eu mes enfants. J’ai allaité ma première 4 ans et coallaité avec sa soeur 2 ans et demi. Je les ai sevrées en même temps au moment de mon divorce et ça a été plus difficile pour l’ainée de 4 ans d’arrêter. Toutes les 2 en parlent encore aujourd’hui ( elles ont 8 ans et de mi et bientôt 7 ans) elles me disent le lait de maman c est le meilleur du monde ! Je suis heureuse de leur avoir donné cette chance. Aujourd’hui elles sont très sociables et toutes les 2 premières de leurs classes, épanouies et sportives. Je suis fière d’elles. Bravo pour cet article

  5. ….. Le lait maternel insipide ?…… Ma fille de quatre ans toujours allaitée n’arrête pas de me dire que le meilleur c’est le bon lait de maman…. Pourtant elle aime aussi les chips, bonbons et autres….
    Justement je pense que l’âge physiologique pour le sevrage c’est le moment où l’enfant est prêt…. Ici on s’en approche sans stress et sans avoir besoin de brutaliser la grande pour qu’elle cesse du haut de ses quatre ans…. Effectivement trois ans c’est bien trop peu…. Et la reprise du travail en allaitant …. Difficile… Mais nous avons tenu bon et chaque jours je m’émerveille de sa confiance , de son hautonomie et de son ouverture au monde…. Merci l’allaitement long!

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