Allaitement et dépression du post-partum

Il a été démontré de façon assez fiable que les symptômes de la dépression du post-partum qui touche entre 12 et 30 % des jeunes mamans et l’arrêt précoce de l’allaitement (en deçà des préconisations officielles) étaient liés. Mais les relations de causalité et les mécanismes mis en jeu sont encore peu clairs. De plus, des différences entre mères sont observées. Tout cela mérite que le sujet soit creusé. Alors si on faisait le point ?

Que disent les études en général ?

Plusieurs chercheurs ont montré que les mamans qui souffrent des troubles de la dépression du post-partum ont plutôt tendance à sevrer précocement. Parallèlement à ce constat, d’autres études suggèrent que des mamans qui ont des difficultés dans la mise en place de leur allaitement, dans les premiers jours après la naissance, sont plus susceptibles d’être victimes du syndrome dépressif jusque dans les deux mois après leur accouchement.
Enfin, d’autres travaux laissent penser que l’allaitement pourrait être un facteur protecteur ou du moins une façon de rendre les troubles moins intenses.

Bref, cela interroge et il est légitime de vouloir mieux comprendre. Dans quel sens cela fonctionne-t-il ? Y a-t-il un lien de causalité entre allaitement et syndrome dépressif, et si oui, dans quel sens l’enchaînement s’effectue-t-il ?

Bilan d’une observation sur un grand nombre de mamans

Une étude de 2016 * s’est intéressée aux principales causes de l’arrêt de l’allaitement chez les mamans qui souffrent du syndrome dépressif en les comparant aux raisons invoquées par les mamans non déprimées. Dans le cadre de cette étude, 1271 femmes âgées de plus de 18 ans, en bonne santé, ont été interrogées. 42,5 % ont allaité pendant au moins 6 mois et 1,6 % en allaitement exclusif pendant ces premiers 6 mois (sur les 4 premiers mois, ces chiffres sont respectivement de 53,6 % et 20 %).

Le profil et statut social des mamans déprimées et non déprimées ne présentent pas de différences marquantes et n’entrent à priori pas en jeu dans les résultats observés (état dépressif et arrêt de l’allaitement).

Pratiquement un tiers (30,9 %) des mamans de l’échantillon étudié a connu la dépression du post-partum : un chiffre supérieur à la prévalence dans la population globale. En accord avec des études précédentes, parmi les mamans déprimées, la durée totale de l’allaitement (18,4 semaines en moyenne) et d’allaitement exclusif (3,6 semaines en moyenne) étaient plus courtes que pour les mamans non concernées par la dépression (respectivement 21,8 semaines et 4,7 semaines pour la durée totale et celle de l’allaitement exclusif).

En fait, les auteurs notent qu’un écart s’observe dès la période néonatale (premier mois de l’enfant) dans les taux d’allaitement entre les mamans déprimées et non déprimées (A un mois de post-partum, 29,3% des mamans déprimées sont en allaitement exclusif tandis que ce chiffre monte à 38,9 % chez les mamans sans troubles dépressifs). L’écart se creuse d’ailleurs au fil du temps.


Quelles motivations pour l’arrêt de l’allaitement ?

Les auteurs ont relevé et comparé les motivations qui poussent les mères à stopper leur allaitement avant 6 mois dans les deux catégories (mamans touchées par le syndrome de la dépression du post-partum et mamans non touchées).

32 raisons distinctes ont été avancées. Les 3 principales motivations conduisant à l’arrêt de l’allaitement étaient la sensation de ne pas avoir assez de lait, le fait que le bébé ne paraissait pas suffisamment « rempli » et les difficultés du bébé à pendre le sein.

Pour ces 3 raisons-là, les chiffres sont proches pour les deux catégories quoique ces raisons soient légèrement plus souvent évoquées chez les mamans déprimées :

58 % de mamans déprimées évoquent le manque de lait comme cause première de leur arrêt contre 51,6 % chez les autres.

Une différence un peu plus marquée concerne les douleurs ressenties, évoquées de façon plus fréquente chez les mamans déprimées comme motivation au sevrage. 24,8% de mamans déprimées les citent comme cause première de leur arrêt contre 16,3 % chez les autres.

La différence la plus notable concerne la fatigue et les tâches ménagères perçues comme très pesantes chez les mamans en dépression du post-partum. Pour 22,6 % de ces dernières, l’allaitement est jugé trop fatiguant ce qui pousse à l’arrêt contre seulement 14 % chez les mamans non déprimées.

Discussion

Selon les auteurs, le fait que l’écart de prévalence de l’allaitement entre les deux groupes (déprimées et non déprimées) se manifeste dès le premier mois et ne fait que s’accentuer au fil du temps pourrait indiquer que les difficultés à la mise en place de l’allaitement ou une perception d’incapacité à réussir à nourrir son enfant contribuent à augmenter le risque de survenue des symptômes dépressifs. Ils suggèrent de plus que leur persistance des troubles dans le temps diminue la capacité et la motivation des mères à poursuivre leur allaitement. Mais les auteurs n’excluent pas qu’un facteur sous-jacent puisse être présent dès la période prénatale ou néonatale qui jouerait sur les deux tableaux (manque de soutien par exemple de la part de l’entourage).

Conclusion

Le sujet est délicat et complexe. Néanmoins, il ressort de cette étude que bon nombre de problèmes qui motivent l’arrêt de l’allaitement pourraient être réglés par un meilleur accompagnement des mamans : c’est le cas de la perception erronée du manque de lait et du sentiment souvent ressenti qui en découle de l’incapacité à nourrir l’enfant. C’est le cas aussi des douleurs liées à l’allaitement qui peuvent être soulagées par un bon accompagnement.
En ce qui concerne la fatigue plus souvent mal gérée par les mamans en état dépressif, les auteurs rappellent que le soutien social pourrait limiter le sentiment d’être submergées par les tâches quotidiennes.

Dans tous les cas, il s’agit surtout de dynamiser le sentiment de confiance en soi souvent mis à mal chez les mamans ce qui permettrait de limiter l’apparition ou soulager des symptômes dépressifs, avec très vraisemblablement un allaitement mené de façon plus confortable et donc plus long.

Référence

*Bascom E. M. et al., « Breastfeeding Duration and Primary Reasons for Breastfeeding Cessation among Women with Postpartum Depressive Symptoms », Journal of Human Lactation 2016, Vol 32(2), 282-291

[Auteure] : Pascale Baugé

[Biographie] : De formation scientifique (docteur-ingénieur en génie des procédés), Pascale est très investie dans le monde des sciences en général.
Elle lit et fouille la littérature scientifique, synthétise et diffuse l’état des dernières connaissances sur l’allaitement maternel: ce qu’on sait, mais aussi ce qu’on cherche à comprendre, car il y a encore tant à découvrir.


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