Allaitement et attachement, un lien évident ?

Delphine Dumoulin, infirmière puéricultrice, consultante en lactation IBCLC, mais qui a également un DIU en lactation humaine et un DU en attachement, nous apporte sa vision du lien mère- bébé lors de l’allaitement.

Delphine : on évoque souvent que « l’allaitement favorise le lien mère-enfant et l’attachement du bébé ». Bien sûr, je suis d’accord avec ces propos. Cependant, dans ma pratique professionnelle de puéricultrice IBCLC DIULHAM en maternité de niveau 3, j’ai fréquemment constaté en service de maternité, en néonatalogie tout comme en consultations à distance de la naissance, que le ressenti, le vécu, et les idées reçues, pouvaient avoir un impact négatif sur l’allaitement et, à travers lui, sur le lien mère-enfant.

En effet, dans l’esprit de beaucoup de mamans, convaincues des bienfaits de l’allaitement, être une bonne mère équivaut à savoir allaiter ! Depuis quand cette belle fonction qu’ont les mères d’allaiter est-elle si facile et évidente ? Depuis quand, l’allaitement serait-il devenu la seule source initiatrice du lien ?

Il me semble primordial que la question de l’allaitement soit abordée lors de rencontres prénatales. Cela permettrait en outre de préparer la mise en place lien mère-enfant notamment dans des situations fragiles : risque d’accouchement prématuré, naissance multiple, prise en charge chirurgicale d’un bébé à la naissance.

Ce temps d’échanges me semble nécessaire quand une mère doit se projeter mentalement dans un allaitement momentanément « différent » de l’allaitement imaginé. Apporter à ces futures mères des connaissances sur la physiologie, le matériel, les signes d’alerte, est vraiment la garantie d’une plus grande sérénité en post natal sur la gestion de leur allaitement.

L’estime de soi sera alors bien moins impactée : « J’allaite mais différemment le temps que mon bébé puisse le faire ! » ; « C’est difficile mais je sais que je serai soutenue ». La mère sera donc plus apaisée et plus ouverte quand elle sera confrontée au flot d’émotions consécutives à cette naissance qui requiert une prise en charge médicale spécifique.

Bien sûr, le suivi tout au long de l’allaitement est lui aussi un incontournable. Il ne s’agit pas uniquement de « mettre un tire-lait en route ». Il est important que la mère sache que quelqu’un sera là tant qu’elle en ressentira le besoin.

Cet accompagnement pré et post natal propre au contexte de la prématurité ou d’un enfant qui requiert un suivi médical rapproché est évidemment extensible à toutes les naissances. Les difficultés qu’une mère peut rencontrer au démarrage de son allaitement sont susceptibles de la faire arrêter même quand il était véritablement souhaité ; elles laissent alors des cicatrices non visibles et pourtant indélébiles !

Je me souviendrai longtemps de cette maman rencontrée lors de son deuxième allaitement. Tout se passait extrêmement bien en apparence : son bébé prenait bien du poids, l’allaitement n’était pas douloureux, elle avait un excellent ressenti ! Et pourtant, la main sur la poignée de porte, prête à sortir, elle s’effondre… Elle venait en consultation essentiellement pour se sentir apaisée d’une première expérience d’allaitement qui s’était soldée par un échec ! Elle exprimait clairement que cette expérience lui laissait penser qu’elle était une mauvaise mère, et que les relations avec ce premier enfant avaient été impactées et que cela perdurait. Ces blessures sur le lien mère-enfant auraient pu être atténuées et évitées !

C’est précisément cette maman qui m’a fait aller chercher au-delà de l’allaitement. Je parle du lien mère-enfant et de l’attachement qui va en découler de l’enfant à sa figure d’attachement, le plus souvent la mère. J’avais envie de comprendre quel rôle le soignant tout comme l’entourage, la société avons d’une manière générale, et bien sûr en cas d’allaitement compliqué.

C’est ainsi que j’ai pris la direction de Paris, pour y étudier et acquérir le diplôme Universitaire sur la Théorie de l’attachement ! Cet enseignement a dépassé mes attentes, pulvérisé mes questions, chamboulé ma pratique !

J’ai compris combien chacun a le pouvoir de devenir la base de sécurité d’une maman inquiète, stressée, en panique vis-à-vis de son allaitement, et que plus on est solide pour elle et plus elle se sentira apaisée. Cela lui permettra « d’y voir plus clair », de se sentir en sécurité, et par là-même de pouvoir répondre aux besoins de son bébé. C’est parce qu’une figure d’attachement va répondre correctement à ses besoins que le bébé va construire son attachement de manière secure. Cela passe par l’alimentation, les câlins, le portage, le peau à peau, et la réassurance du bébé.

Une mère qui doute d’elle-même, qui ne serait pas soutenue, qui a mal, qui stresse, qui est sous pression de son entourage et parfois d’elle-même, ne pourra pas répondre aussi bien à son enfant, trop occupée à gérer ses propres émotions.

Dans ce climat si délicat d’une naissance, il est important de soutenir les mères qui ont choisi d’allaiter avant, pendant et après la naissance de l’enfant en respectant leur projet et en étant un pilier de soutien. Ainsi, leur histoire d’allaitement sera vécue de manière positive dans l’écoute et la bienveillance. Cela n’exclura pas toujours les « petits soucis » de démarrage mais ils seront vécus tout autrement.

C’est pourquoi je nuancerai l’affirmation selon laquelle « L’allaitement favorise le lien mère-enfant et l’attachement du bébé » en y ajoutant « si et seulement si nous entourons ces mères tout au long de leur allaitement ! »

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