L’allaitement : un acte naturel qui s’apprend

Allaiter est-il un processus naturel spontané ou un comportement acquis par notre culture, notre environnement proche ? Il est toujours primordial de mieux connaître les facteurs impliqués dans le démarrage et la poursuite de l’allaitement maternel quand on veut  aider un maximum de mamans.

Même si l’allaitement est ancré en nous puisque toutes les femmes sont capables d’allaiter- leur corps étant préparé pour cette fonction depuis leur naissance – la pratique de l’allaitement, elle, semble bel et bien être un comportement à acquérir. Pourquoi ? Et comment est-on parvenu à une telle conclusion ?

Les études consacrées à ce sujet, partent du constat que même si l’allaitement a prouvé ses avantages et ses bienfaits sur l’enfant et la mère, il est loin de faire l’unanimité, notamment dans la poursuite au-delà des premières semaines. Le sujet déchaîne d’ailleurs encore les esprits et de nombreuses discussions passionnées ont cours entre les mamans qui prônent l’allaitement et celles qui n’ont pas pu ou voulu allaiter.  Quel rôle joue l’environnement de la mère notamment les conseils dont elle pourra ou non bénéficier ?

L’espèce humaine, cas particulier de la famille des mammifères ?

Wells [1] propose un très bel article sur la base d’une revue bibliographique assez poussée ; il évoque les aspects biologiques, socioculturels de l’allaitement.  En particulier, il replace l’Homme dans la famille des mammifères et montre la variabilité du comportement entre les différentes espèces.

Ainsi sur l’échelle du « degré de maturité du nouveau-né », notre espèce se trouve entre les mammifères nidicoles (type marsupiaux – avec poche ventrale) et le mammifère ongulé plutôt mature à la naissance (porcs, ruminants).

Dans le cas des nidicoles, le bébé en contact très rapproché avec sa mère, tète naturellement malgré sa faible maturité. De l’autre côté de l’échelle, bébé est très mature, ce qui ne l’empêche pas de téter sa mère sans l’aide de celle-ci.

Chez nous les primates, c’est un peu différent. Le petit est incapable de se tenir debout, de se nourrir seul et a besoin d’être guidé par sa mère ; or elle aussi doit être aidée.

Wells évoque un certain nombre d’observations de primates élevés en captivité. A leur primiparité, les femelles n’allaitent pas, pratique qu’elles ne semblent pas connaître. Or, en groupe, à l’état sauvage, l’allaitement démarre ce qui suggère qu’un apprentissage de femelles « adolescentes » s’opère, leur permettant d’acquérir une expérience maternelle avant même leur premier bébé.

Le nourrissage des chimpanzés (notre proche parent) est également, d’après de nombreuses observations, en général un phénomène acquis au sein du groupe (le mécanisme exact de l’apprentissage n’est pas encore bien connu) [2]

Toujours sur la base des résultats de nombreuses recherches, l’auteur montre que l’allaitement humain est conforme aux modèles observés chez les primates : il s’agit bien d’un processus biologique inné (les mères qui allaitent ressentent des sensations et gestes spontanés) mais la mise en place et la poursuite s’adaptent aux conditions environnementales dans lequel le couple mère-enfant évolue. Elle nécessite des conseils d’autres mamans ou de celles qui ont l’expérience et la connaissance.

Maher [3] évoque également cette notion d’expérience partagée. Pour lui, la pratique répandue du biberon au 20e siècle aux Etats-Unis a considérablement réduit l’expérience collective de l’allaitement dont la population contemporaine ne peut pas bénéficier.

Influence des décisions prénatales

Savoir que les bons gestes, la bonne écoute des besoins de son bébé s’acquièrent avec l’expérience est essentiel, notamment pour les primipares. Une étude néerlandaise [4] datant de 2005 sur les réflexions prénatales de 89 mères a en effet révélé que les jeunes mamans pensaient que l’allaitement était un acte entièrement naturel et inné et qu’en conséquence, elles ne ressentaient pas le besoin de s’y préparer avant la naissance. Sans expérience extérieure, ni information préalable, l’allaitement même choisi, est plus difficile.

En dehors des primipares, l’étude montre également que la décision d’allaiter prise bien avant la naissance, était fortement corrélée avec le comportement effectivement mis en place. D’autres études (2005 et 2011) sur un plus grand nombre de femmes font écho à ce résultat [5] [6] .

L’apport d’une « formation prénatale » soit dans une maternité ou dans le cadre de rencontres et d’échanges avec d’autres mères allaitantes contribue à anticiper les questions qui ne manqueront pas de se poser, de couper court aux croyances erronées fréquemment rencontrées et qui conduisent généralement à un échec de l’allaitement. Cela permet également de renforcer le sentiment de confiance en soi qui manque aux jeunes mamans.

Conclusion

L’allaitement est naturel dans la mesure où c’est un processus qui est prévu par notre corps. Mais l’ensemble des études parcourues montre que si on veut le mener à bien, une expérience est à acquérir pour le démarrage et la poursuite (échanges entre mères, programmes de préparation pendant la grossesse) et ce d’autant plus si le choix de la mère ne s’inscrit pas dans la norme culturelle dans laquelle elle évolue.

Références :

[1] J. Wells, « The Role of Cultural Factors in Human Breasfeeding: Adaptive Behaviour or Biopower? », Human Ecology Special, 2006

[2] H. Plotkin, « The imagined World made meal : Towards a Natural Science of Culture. Perguin Press, London, 2002

[3] V. Maher, « Breast-feeding in cross-cultural perspective : Paradoxes and Proposals”, The Anthropology of Breast-feeding :  Natural Law or Social Construct”, 1992

[4] B. Gijsbers, “Factors Associated with the Initiation of Breastfeeding in Asthmatic Families : The Attitude-Social Influence Self-Efficacy Model”, Breastfeeding Medicine, 2006

[5] V. Swanson, “ Initiation and continuation of breastfeeding : theory of planned behavior”, Journal of Advanced Nursing, 2005

[6] K. Beermann, « The Effectiveness of Prenatal Education on Breasfeeding Initiation and Continuation Rates », http://www.instituteofmidwifery.org, 2011

[Auteure] : Pascale Baugé

[Biographie] : De formation scientifique (docteur-ingénieur en génie des procédés), Pascale est très investie dans le monde des sciences en général. A la naissance de son premier enfant, elle découvre l’allaitement avec bonheur mais se heurte aussi à quelques difficultés. Et voilà un nouveau sujet passionnant à fouiller !  Depuis, elle a eu deux autres enfants, allaités longuement, et n’a de cesse de lire et fouiller la littérature scientifique, synthétiser et diffuser l’état des dernières connaissances sur l’allaitement maternel.

 

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