Est-ce qu’allaiter a un pouvoir contraceptif ?

Marie-Agnès TORCQ est sage-femme . Formée à la méthode Cyclamen®, elle accompagne les femmes avec les Méthodes Naturelles de Régulation des Naissances.

Elle tient à remercier le professeur Ecochard pour son aimable contribution et sa relecture judicieuse.

La nature est bien faite. Après avoir donné la vie, si une mère allaite son bébé à la demande avec un maternage de proximité, son cerveau produit des hormones empêchant un retour à la fertilité. C’est ce qu’on observe dans les pays en voie de développement où les tétées sans restriction permettent d’espacer naturellement les naissances ; dans le cas où l’allaitement artificiel n’est pas mis en compétition avec l’allaitement maternel. Est-ce possible aussi chez nous ? Voyons de plus près comment cela se produit.

Comment ça marche ?

La prolactine, comme son nom l’indique, a pour fonction de faire sécréter du lait. Grâce à la succion régulière du bébé, le retour de l’ovulation est bloqué. La MAMA (Méthode d’Allaitement Maternel et d’Aménorrhée) fonctionne alors si les critères suivants sont respectés :

  • un allaitement exclusif, sans complément de préparation pour nourrissons ;
  • pas de retour de couches (les saignements avant 8 semaines – 56ème jour du post partum – ne sont pas pris en compte)
  • l’âge du bébé est de moins de 6 mois révolus

Dans nos pays, où l’allaitement est souvent limité aux besoins de nutrition de l’enfant, les tétées sont souvent peu nombreuses. On recommande alors parfois, en plus des critères ci-dessus :

  • pas d’intervalle de plus de 6 heures entre deux tétées la nuit et 4h le jour ;
  • un minimum de 6 longues tétées ou 10 tétées courtes chaque jour, de façon à obtenir une stimulation quotidienne du mamelon et de l’aréole de 60 à 90 minutes ;

Ces deux recommandations s’ajoutent à la MAMA sans en faire partie.

Des études scientifiques à l’appui des recommandations


En 1988, sous l’égide de l’OMS et de l’UNICEF, des scientifiques ont confronté leurs connaissances sur l’interaction entre allaitement et infertilité et ont rédigé le Consensus de Bellagio1 qui définit la MAMA. En respectant les critères précités, l’allaitement pourra amener une infertilité provisoire. Un professionnel de la fertilité (sage-femme ou gynécologue formé(e) à la MAMA, une monitrice /instructrice de Méthode d’Observation du Cycle, ou une consultante en lactation IBCLC) pourront réviser ces critères avec vous.

La MAMA est-elle fiable ?



On dénombre une grossesse chez 100 femmes sur une période de six mois d’allaitement qui remplissent les critères de la MAMA. A titre de comparaison, selon l’OMS, le nombre de grossesses sous pilule micro-progestative est de 7 %, de 0,1% sous implant contraceptif, 0,5 à 0,8 % avec le Dispositif Intra-Utérin au cuivre ou hormonal et 1 à 2 % avec les méthodes d’observation du cycle.

Pourquoi prescrit-on systématiquement une pilule micro-progestative à la sortie de la maternité ?

La pilule micro-progestative n’est absolument pas indispensable à toutes les femmes et, si elle est prescrite, devrait être réservée aux femmes pour qui l’allaitement ne remplit pas les critères définis dans la MAMA. Compte tenu de nos connaissances, on peut s’étonner qu’elle soit systématiquement prescrite à la sortie de la maternité. Est-ce par méconnaissance de la physiologie de la lactation et du retour à la fertilité après une naissance ?

On ne peut évidemment présager du devenir de l’allaitement des femmes qui sortent de la maternité. Pour que le blocage de l’ovulation soit assuré, il faut un allaitement efficace, répondant aux critères cités plus haut. S’ils ne sont pas remplis, la fertilité peut revenir plus tôt et c’est ainsi que certaines femmes découvrent une nouvelle grossesse alors qu’elles allaitent leurs nouveau-nés. Expliquer aux femmes ces critères et les soutenir pour que leur allaitement les remplisse à long terme, prend à l’évidence plus de temps que de délivrer une ordonnance systématique de contraception hormonale.

Quelle prudence devrait avoir tout professionnel de santé ?


On sait que le passage dans le sang des progestatifs de synthèse a une influence sur la mise en place de la production lactée ; il serait nécessaire que les professionnels de santé prescrivent la pilule aux femmes qui sortent de maternité avec plus de modération pour éviter des échecs d’allaitement par insuffisance de production lactée.

Selon l’ANAES2 (renommée HAS Haute Autorité de Santé), si ce choix se porte sur une contraception hormonale, celle-ci ne doit pas être débutée avant la sixième semaine du post-partum. Les œstroprogestatifs ne sont pas recommandés car ils pourraient réduire la production de lait. Les microprogestatifs, les progestatifs injectables et les implants progestatifs peuvent être utilisés sans inconvénient ni pour l’allaitement, ni pour le nouveau-né. Toutefois la contraception hormonale ne doit pas être débutée avant l’installation de la lactogenèse de stade II (montée laiteuse). Les progestatifs ne seront pas utilisés avant la sixième semaine du post-partum.

Kennedy et al 3rapportent que le démarrage de la lactation est stimulé par la chute brutale du taux de progestérone en post-partum précoce, qui pourra être contrecarrée par une pilule progesta­tive… Certains auteurs, ainsi que l’OMS, considèrent donc préférable d’attendre 6 semaines post-partum avant de commencer à les utiliser.

Enfin, par principe de précaution pour l’enfant allaité, qui ingère des quantités d’hormones via le lait maternel, il conviendrait d’éviter de le surexposer dès son plus jeune âge à des hormones de synthèse via le lait maternel qui ne sont pas naturellement présentes dans le lait de sa mère.

Dans son livre4, le professeur René Ecochard, docteur en médecine, professeur à l’université Claude-Bernard (Lyon I) biostatisticien et membre du Pôle Santé-Publique du CHU de Lyon livre une explication : « La mini-puberté et la puberté étant des périodes sensibles, il est de la plus haute importance de ne pas interférer avec le système hormonal à ces âges de la vie. On peut craindre, sans que cela ait été démontré à ce jour, que la prescription de pilule contraceptive à une mère allaitante soit néfaste pour l’enfant. En effet, le nourrisson est alors en mini puberté. Son cerveau est sensible aux hormones. Les pilules contraceptives données à la mère sont composées d’hormones de synthèse. La part de ces hormones qui passent dans le lait est peu documenté dans la littérature scientifique. Le principe de précaution invite à ne pas affirmer sans preuve l’absence de conséquence pour l’enfant […] Les pilules contraceptives, constituées notamment de progestatifs connus pour leur effet androgénique ou antiandrogénique ne devraient plus être utilisées avant d’avoir la certitude de leur inocuité »

En outre, le laboratoire commer­cialisant Implanon® (étonogestrel) déconseille son utilisation pendant l’allaitement. La mère devrait être informée de l’impact possible sur la lactation ; si l’enfant pleure davantage, semble beaucoup plus affamé, obtient visible­ment moins de lait, que sa prise de poids se ralentit, il faudra envisager la responsabilité de la contraception hormonale ; la mère pourra alors si elle le désire cesser de l’utiliser (notons qu’il est plus facile de cesser d’interrompre la prise de pilule que de retirer un implant).

En tout état de cause, l’accompagnement par une personne spécialisée s’impose pour un choix éclairé d’une méthode de contraception adaptée.

En conclusion


L’allaitement maternel exclusif entraîne un blocage ovarien par la succion du sein. De fait, il n’est pas utile de prendre une contraception hormonale, mais indispensable de valider les critères de l’allaitement pour connaître son impact sur la fertilité, avec un professionnel formé à la MAMA.

La prise de progestatifs peut influencer la mise en place de la lactation et ne devrait pas être débutée avant la 6° semaine du post partum, pour ne pas mettre en péril l’allaitement par insuffisance lactée.

Enfin il n’a pas été clairement démontré que les progestatifs soient réellement sans effet sur le développement neurologique et hormonal de l’enfant allaité. Par principe de précaution, on ne devrait pas proposer systématiquement de contraception hormonale chez une femme allaitante.

Références :

1 Greiner T. Breastfeeding and LAM: beyond conventional approaches. Bellagio Conference. Washington, 15-16/05/1997.

2 Extrait de la page 16, recommandations 12 de l’ANAES sur l‘allaitement en 2002 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/Allaitement_recos.pdf

3 Kennedy KI, M Kotelchuck. Policy considerations for the intro­duction and promotion of the lactational amenorrhea method: advantages and disadvantages of LAM. J Hum Lact 1998; 14(3): 191-203.

4 Professeur René Ecochard « Hommes Femmes ce que nous disent les neurosciences » Editions Artège, Février 2022

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